Service d’observation du Soleil

1 – Un peu d’histoire…

L’intérêt pour les observations du Soleil en France remonte à la fin du XIXème siècle, époque où le célèbre astronome Jules Janssen fonda l’Observatoire de Meudon pour en faire un observatoire « d’astronomie physique » (science qu’on appelle aujourd’hui « astrophysique »), en complément de l’astronomie de position et de la mécanique céleste qui étaient pratiquées depuis deux cents ans à l’Observatoire de Paris. Les progrès considérables des physiciens et des mathématiciens au XIXème siècle rendaient possible vers 1875 l’amorçage d’un tournant vers la physique des astres, autrement dit décrire leur composition chimique, leur formation, leur évolution… Telle était la vocation du nouvel observatoire « d’astronomie physique » de Meudon voulu par Janssen.

Celui ci s’intéresse particulièrement au Soleil sous l’angle de la spectroscopie et de la photographie, deux techniques naissantes qui vont révolutionner l’astronomie : la spectroscopie permet d’étudier les interactions entre la matière et le rayonnement dans les atmosphères stellaires, en interprétant les raies spectrales atomiques ; quant à la photographie, elle permet de conserver un résultat objectif de l’observation, contrairement au dessin couramment pratiqué jusqu’alors. Janssen se passionne pour l’imagerie de la surface du Soleil, en particulier la granulation. Il effectue aussi de nombreuses missions d’observations d’éclipses totales et découvre, par la spectroscopie, la présence d’Hélium dans l’atmosphère solaire. Il démontre ensuite la possibilité d’observer les protubérances au limbe en dehors des éclipses, en appliquant les principes de la spectroscopie. Ces travaux précurseurs sont fondamentaux : grâce à eux, le successeur de Janssen, Henri Deslandres, va mettre au point au cours de la première décennie du XXème siècle le spectrohéliographe, qui est un spectrographe permettant d’observer la surface du soleil dans un intervalle spectral extrêmement étroit et centré sur une raie d’absorption. A partir de 1909, il y a donc cent ans, les observations systématiques de la surface du disque solaire vont commencer à Meudon et perdurer jusqu’à nos jours. George Hale, aux Etats Unis, aura une idée similaire, et l’on verra ainsi de l’autre côté de l’Océan Atlantique s’épanouir une activité complémentaire de celle de Meudon.

Soleil et taches
Clichés pris par Jules Janssen à la fin du XIXème siècle à Meudon avec la lunette d’imagerie solaire.
A gauche : le soleil montre ses taches.
A droite : une observation du détail des taches.

A Meudon, seules les deux guerres mondiales perturberont les observations. La qualité, la régularité et l’homogénéité des images produites à l’Observatoire lui ont forgé au fil des temps une réputation aujourd’hui internationale ; et nous sommes le seul établissement à disposer d’une collection continue de 9 cycles solaires. Il y a évidemment peu de ressemblance entre le spectrohéliographe de Deslandres et celui que nous utilisons aujourd’hui, en raison des progrès technologiques qui ont fait subir à l’instrument des améliorations successives. Néanmoins, le principe et les caractéristiques instrumentales ont toujours été conservés pour ne pas altérer l’harmonie de l’exceptionnelle collection.


Spectrohéliographe de Deslandres
Le spectrohéliographe
de Deslandres au début du XXème siècle à Meudon.
Disque solaire
Un siècle d’observations au spectrohéliographe séparent ces images de la chromosphère solaire, qui révèlent régions actives brillantes et filaments sombres dans la raie CaII K,
les 9 Octobre 1900 et 9 Octobre 2000.

Janssen et Deslandres
Les pionniers :
Jules Janssen (1824-1907, à gauche) et Henri Deslandres (1853-1948, à droite)
Spectre solaire
Le spectre solaire constitue l’outil de diagnostic qui permet aux astronomes d’imager les différentes couches de l’atmosphère solaire. Dans le rouge (bas à droite), la raie Hα (656.3 nm) est universellement utilisée pour la chromosphère. Dans le bleu (en haut à gauche), la raie K de CaII 393.4 nm fournit une autre vision de la chromosphère. Il y a des milliers de raies disponibles, chacune caractéristique d’une transition entre 2 niveaux d’un atome particulier.

2 - Le soleil vu avec les instruments de Meudon

Le Soleil est la seule étoile du ciel pour laquelle, en raison de sa proximité, il est possible de voir les détails de sa surface. Rappelons que le diamètre du Soleil est de 1400000 km, et que les plus petits détails visibles dans les meilleurs télescopes font 100 km (ou 0.15 secondes de degré en valeur angulaire). Mais il s’agit là d’observations de détails, ce qui n’est pas la préoccupation des observations journalières du Soleil, qui concernent le disque solaire entier, avec une résolution plus modérée de l’ordre de 1000 km. Pourquoi observe t-on le Soleil régulièrement ? On a tout d’abord constaté que la surface du Soleil était en perpétuelle évolution, sur des échelles de temps courtes, pouvant varier de l’heure (cas des éruptions solaires) au mois (durée de vie des filaments et des taches) ; l’évolution des structures se présente d’un jour à l’autre de manière différente en raison de la rotation de l’étoile sur elle-même, qui varie de 26 jours à 31 jours de l’équateur aux pôles (le Soleil ne tourne pas comme un corps solide : sa rotation est différentielle, ce qui déforme les structures).

La photosphère
Les taches sont des régions de champ magnétique intense (0.1 Tesla) qui émerge de la surface solaire. Elles sont entourées de zones brillantes plus chaudes appelées facules où les champs magnétiques sont également présents. La surface tachée suit un cycle de 11 ans : c’est le cycle d’activité solaire avec ses maxima qui donnent naissance à une recrudescence des phénomènes dynamiques et éruptifs.
La dimension d’une tache est comparable à celle de la Terre !

L’atmosphère du Soleil comprend la photosphère (surface visible, 500 km d’épaisseur), la chromosphère (2000 km), puis la couronne 100 fois plus chaude (millions de km) qui la raccorde au milieu interplanétaire et qui émet un flux de particules appelé vent solaire.
La surface solaire observable du sol avec des instruments d’optique est constituée de la photosphère (qui révèle les taches) à 5700 degrés de température, et de la chromosphère au dessus (qui montre les filaments et les protubérances) un peu plus chaude (8000 degrés). Pour sonder ces deux couches, il faut utiliser des moyens spectroscopiques, c’est-à-dire des raies atomiques formées dans les conditions de température que l’on trouve à l’intérieur de ces couches. La couronne, quant à elle, ne se prête pas bien à l’observation terrestre, hormis pendant les éclipses, car elle est un million de fois moins lumineuse que le disque solaire. On utilise le plus souvent des télescopes spatiaux pour l’observer, car ils ne sont pas gênés par l’atmosphère terrestre.

Les astronomes observant les taches ont constaté rapidement le caractère cyclique de la surface tachée en fonction du temps : le nombre de taches évolue avec un cycle moyen de 11 ans, comme le montre la figure ci dessous, correspondant en réalité à une cyclicité magnétique de 22 ans (la polarité magnétique des deux hémisphères Nord et Sud du Soleil se renversant tous les 11 ans). L’intensité des cycles est variable : il y a des cycles forts (plus de taches) et des cycles faibles. On soupçonne une seconde période voisine de 80 ans dans la modulation des cycles. Le passé a connu des cycles très peu actifs, comme le Minimum de Maunder au temps de Louis XIV, corrélé à une période climatique froide dite de « petit âge glaciaire ». Mais pour le moment, l’influence réelle des cycles solaires sur le climat terrestre reste à déterminer et constitue un sujet de recherches débattu.


Cycles solaires
Le cycles solaires de 1700 à 2000.
Cycles solaires de 11 ans
cycles solaires (période 1979 – 1999) observés dans 3 domaines spectraux différents de la chromosphère (deux rangées du haut) et de la photosphère (rangée du bas) – couleurs artificielles - Noter l’absence de structures sur la surface aux minima solaires (1986 et 1996)

La chromosphère
Les filaments (qui apparaissent en protubérances au bord solaire) sont constitués de matière dense de type chromosphérique (8000 degrés) en suspension dans la couronne 100 fois plus chaude sous l’influence de champs magnétiques qui les soutiennent contre la gravité.

Lors des maxima d’activité solaire (1990, 2001, 2012 (?)…), il n’est pas rare d’assister à des phénomènes éruptifs violents et rapides, dans l’environnement des centres actifs (taches), là où il existe une forte concentration d’énergie sous forme magnétique. Lors de ces phénomènes, l’énergie magnétique est convertie en énergie cinétique (mouvements) et en chaleur (phénomènes des éjections de masse coronale et des éruptions). Les éruptions et éjections peuvent décharger dans le milieu interplanétaire une grande quantité de matière sous forme d’électrons et de protons accélérés. Lorsque ces particules parviennent à la Terre, elles peuvent générer un certain nombre de nuisances : perturbation des télécommunications se réfléchissant sur l’ionosphère, perturbation également des signaux traversant l’ionosphère, (GPS etc), dégradation des engins spatiaux et des satellites artificiels, pannes électriques résultant de phénomènes inductifs dans les lignes électriques, etc… A ces désagréments déjà observés sur les activités humaines, qui justifient à eux seuls une activité de surveillance et de prévision de l’activité solaire (nouvelle discipline appelée « météorologie de l’espace ») s’ajoutent des événements d’une rare beauté que sont les aurores polaires.

Une prévision de cycle se fait à Meudon au CERCLe (Cycle Eruptions et Rayonnement Cosmique au LEsia).


Atmosphère solaire
Trois visions de l’atmosphère solaire : à gauche, la chromosphère et ses filaments dans la raie Hα de l’Hydrogène. Au centre, d’autres structures chromosphériques comme les facules apparaîssent au cœur de la raie K du CaII. Et à droite, c’est la photosphère et ses taches dans l’aile de la raie K du CaII (les couleurs sont artificielles).
Protubérances
Les protubérances au dessus de la chromosphère peuvent atteindre 100 000 km de hauteur et se déstabiliser, provoquant une éjection de masse coronale pouvant se diriger vers la Terre (couleurs artificielles)

Éruption et filament
Le Soleil est dynamique et évolue en permanence : à gauche une éruption qui se développe en quelques minutes ; à droite la déstabilisation d’un filament, plus lente, s’étale sur quelques heures.

La structure interne du Soleil sous la photosphère n’est pas observable. La couronne solaire, couche très ténue située au dessus de la chromosphère et portée vraisemblablement par dissipation d’ondes à plus d’un million de degrés, est observable du sol en dehors des éclipses en ondes radioélectriques ou hors atmosphère, sur orbite terrestre, en Ultra Violet et rayons X.
L’Observatoire de Nançay, rattaché à l’Observatoire de Paris, réalise quotidiennement des observations de la couronne solaire en ondes métriques, avec le radiohéliographe : elles sont présentées page suivante. Depuis l’espace, l’instrument SOHO (SOlar and Heliospheric Observatory) conçu par l’ESA (Agence Spatiale Européenne) et par la NASA, envoie depuis 1996 au sol des images inédites et quotidiennes de la couronne solaire en extrême Ultra Violet dans un domaine de température allant de 80 000 degrés à 2 millions de degrés (figure ci dessous). A ces données s’ajoutent des magnétogrammes (cartographie des champs magnétiques solaires projetés le long de la ligne de visée) et des coronogrammes en lumière blanche montrant les structures de la couronne à grande distance de la surface solaire.

3 - Le Soleil vu en ondes radio à Nançay et depuis l’espace avec SOHO


Photosphère et chromosphère
Gauche et milieu : Photosphère en NiI et CaII
Droite : Chromosphère en Halpha
Les raies spectrales d’absorption du spectre de la lumière visible révèlent les basses couches de l’atmosphère
dont la température varie entre 4500 et 8000 degrés, la photosphère et la chromosphère (Observatoires de Meudon et MDI/SOHO,
couleurs artificielles)
Effet Zeeman
L’effet Zeeman sur les raies spectrales permet de mesurer les champs magnétiques dans la photosphère du soleil , qui sont à l’origine de l’activité de l’étoile (raie NiI, MDI/SOHO)

UV
En UltraViolet, domaine réservé aux instruments en orbite, la basse couronne apparaît dans des températures de 80 000 à plus de 2 millions de degrés (EIT/SOHO, couleurs artificielles)
Radio
En ondes radioélectriques, on détecte le rayonnement des particules accélérées dans la couronne solaire (Radiohéliographe de Nançay, ondes métriques)

Couronne solaire
Les coronographes de SOHO, en lumière blanche, révèlent la couronne solaire à moyenne et grande distance (instrument LASCO/SOHO). Le disque du soleil est représenté par le cercle blanc et masqué par une « Lune artificielle ».
(fausses couleurs)

4 - Un service d’observations solaires pour quel public ?

A la lumière de cette présentation succinte des phénomènes actifs solaires, on comprend que les objectifs du service d’observation soient multiples, à la fois fondamentaux et appliqués : le service contribue à la recherche en physique solaire par l’apport de données grand champ (soleil entier), à la prévision de l’activité et à la surveillance solaire dans le cadre de la météorologie spatiale. Ces missions lui imposent d’être opérationnel 365 jours par an. Malgré une météorologie peu favorable en région parisienne, on compte près de 280 jours observés annuellement au spectrohéliographe, les clichés se faisant très souvent entre deux nuages. La production du service est aujourd’hui totalement numérique et servie en temps réel depuis 1996 à la communauté internationale au travers de la base de données appelée BASS2000.

Des campagnes d’observation sol/espace spécifiques, sur programme scientifique sélectionné (les JOPs ou « Joint Observing Programs ») impliquent régulièrement des chercheurs de la communauté française sur les télescopes au sol tel THEMIS (Canaries), ou spatiaux tel SOHO, RHESSI, TRACE, ou encore SOLAR B/HINODE. Lors de telles campagnes, le service est en alerte et les observations sont intensifiées.

Chacun peut consulter la base de données, le grand public curieux du ciel, comme les astronomes amateurs et les professionnels. Même si nous ciblons principalement les chercheurs en physique du Soleil et les prévisionnistes de météorologie spatiale, tout citoyen intrigué par les phénomènes solaires est bienvenu sur cette base de données. Il existe du reste un site qui a été spécialement mis en place à son intention. Les adresses disponibles sont les suivantes :

 le site Web des observateurs solaires, orienté grand public : http://solaire.obspm.fr
 BASS2000, orienté professionnel : http://bass2000.obspm.fr
 un serveur FTP anonyme qui complète Bass 2000 : ftp://ftpbass2000.obspm.fr
 Le serveur du réseau mondial Halpha (dont nous faisons partie avec les USA, La Chine, l’Italie et l’Autriche) situé au Big Bear Solar Observatory (USA) : http://www.bbso.njit.edu/Research/Halpha/index.html

5 - Les instruments du service de surveillance solaire

Les observations de service sont caractérisées par leur champ (le disque solaire entier) et se font en plusieurs longueurs d’onde de manière à explorer les couches de l’atmosphère solaire visibles du sol en optique (Meudon) et en radio (Nançay).

Le spectrohéliographe est une lunette fixe (250 mm d’ouverture pour 4 m de focale) alimentée par un système à deux miroirs mobiles appelé coélostat qui suit le Soleil dans son mouvement (photo ci dessous). La lunette alimente un petit spectrographe de 1 m de distance focale, qui fournit par décomposition spectrale, plusieurs séries d’images par jour du disque en Halpha 656.3 nm (Hydrogène neutre), K3 (centre raie de CaII K 393.4 nm), et K1v (aile violette de la raie du Calcium). Les images du disque sont complétées par des clichés longue pose en K3 et en Halpha pour les protubérances au limbe. On a ainsi une vue synthétique de la photosphère, chromosphère et protubérances. Les images monochromatiques résultent du balayage de la surface solaire par la fente d’entrée du spectrographe. Ce sont des cubes de données (la troisième dimension étant spectrale) qui sont enregistrés pour chaque raie, avec une résolution spatiale voisine de 2 secondes d’arc et spectrale de 0.025 nm pour Halpha et 0.015 nm pour CaII K. Les données passent sur BASS2000 en temps réel et sont présentées au public sur le site Web des observateurs. On estime que cet instrument a produit plus de cent mille images en près d’un siècle d’observations.

L’héliographe est constitué d’un ensemble de plusieurs petites lunettes sur la même monture équatoriale dédiée à la surveillance des éruptions solaires, et pour cela bénéficie d’une excellente résolution temporelle atteignant plusieurs images par minute. Il fonctionne depuis un demi siècle, et a été modernisé à plusieurs reprises. L’héliographe est spécialisé en imagerie pure : il fournit des images de meilleure résolution spatiale que le spectrohéliographe, mais en contrepartie dans une bande spectrale plus large. Deux voies d’imagerie pure sont actuellement opérationnelles :
 la voie chromosphérique CaII K 393.4 nm de bande passante 0.15 nm
 la voie photosphérique dans le continu vert à 530 nm de bande passante 0.5 nm
 la voie chromosphérique Halpha, de bande passante 0.05 nm, est en rénovation

A Nançay, la station comporte une antenne de service, dite antenne multifréquence des flux globaux, avec une dizaine de canaux entre 160 et 450 MHz pour la surveillance de l’activité. Cette antenne fournit un flux intégré sur le disque solaire plusieurs fois par seconde. Les observations du radiohéliographe se font sous forme d’images bidimensionnelles mais à cadence plus modérée, dans la même bande de longueur d’onde (métrique). Le radiohéliographe est un instrument de recherche de pointe ; néanmoins, son apport à la surveillance de l’activité solaire est très importante en raison de son fonctionnement en mode imagerie multi fréquence et systématique.


Coélostat
Le coélostat de Meudon dirige le faisceau de lumière solaire vers le laboratoire où il est analysé par le spectrohéliographe
Héliographe
La monture équatoriale de l’héliographe de Meudon supporte plusieurs lunettes

Radiohéliographe de Nancay
Le radiohéliographe de la station de Nançay analyse les ondes métriques du Soleil