Introduction
L’Observatoire Européen Austral (European Southern Observatory, ESO) s’apprête à relever l’un des plus grands défis instrumentaux jamais imaginés : la construction de l’Extremely Large Telescope (ELT), un télescope de 39 m de diamètre dont la mise en service est aujourd’hui prévue pour 2028. Ce télescope géant permettra des percées majeures dans des domaines clefs de l’astrophysique comme l’étude de la formation des premières galaxies ou la recherche de planètes extra-solaires dans la zone habitable de leur étoile hôte.
Le LESIA est responsable de la contribution française de l’imageur MICADO, qui sera le premier instrument de l’ELT. Avec plusieurs laboratoires français, le LESIA est ainsi chargé, d’une part du développement du système d’optique adaptative installé dès la première lumière de l’instrument et, d’autre part, du mode d’imagerie à haut contraste de MICADO.
Pour le LESIA, l’enjeu est double :
- développer de la recherche instrumentale en optique adaptative (analyse de front d’onde et calculateur temps-réel) et en imagerie à haut contraste
- obtenir un retour scientifique sur les thématique de recherche phares du laboratoire : les exoplanètes et disques de débris, la physique stellaire (e.g. les étoiles évoluées), les objets du système solaire, le Centre Galactique et plus généralement les noyaux de galaxies proches.
Les sections ci-dessous détaillent les objectifs scientifiques de MICADO, présentent l’instrument, la contribution française et du LESIA et les jalons du projet.
Objectifs scientifiques de MICADO
En sa qualité d’instrument de première lumière de l’ELT, MICADO abordera un grand nombre de sujets scientifiques qui couvrent des thèmes clés de l’astrophysique moderne. Exploitant ses excellentes sensibilité et résolution spatiale, les objectifs scientifiques principaux de MICADO portent sur les thèmes suivants :
- L’évolution des galaxies via des observations de galaxies à grand décalage vers le rouge ainsi que des populations stellaires dans des galaxies locales

Crédit : Consortium MICADO
- Le centre galactique et les trous noirs supermassifs dans les noyaux de galaxies

Crédit : Consortium MICADO
- Les trous noirs de masse intermédiaire dans les amas stellaires

Crédit : Consortium MICADO
- La caractérisation des exoplanètes et des disques circumstellaires à de petites échelles angulaires

Crédit : Zurlo+16 & MICADO consortium
- Le Système solaire

Crédit : Consortium MICADO
Présentation de l’instrument

Crédit : ESO/consortium MICADO
L’imageur MICADO est développé par un consortium de partenaires en Allemagne, France, Autriche, Pays-Bas, Italie et Finlande, en collaboration avec l’ESO, pour un total d’environ 600 équivalents temps-plein (100 pour la contribution française) et un coût d’environ 25 millions d’euros (dont 3 pour la contribution française). Le consortium est dirigé par le Max Planck Institut for Extraterrestrial Physics (MPE) et le PI de l’instrument est Ric Davies.
Travaillant dans le proche infrarouge (0,8-2,4 μm) à la limite de diffraction de l’ELT, MICADO proposera quatre modes d’observation :
- imagerie standard : avec des échelles de pixel de 1,5 et 4 millisecondes d’angle (mas), le champ de vue correspondant sera de 19 et 51 secondes d’angle carrées. Plus de 30 filtres large bande et bande étroite seront disponibles ;
- imagerie astrométrique : ce mode est dimensionnant pour la conception de MICADO, avec par exemple une implémentation invariante par gravité, une conception optique à miroirs fixes, un étalonnage et un pipeline de données dédié à l’astrométrie ;
- imagerie à haut contraste : ce mode utilisera le détecteur central et une configuration classique de coronographes en plan focal avec masque de Lyot, un masque de phase en plan pupille de type vAPP (vector apodizing phase plate) et du masquage de pupille ;
- spectroscopie longue fente : elle permettra de couvrir simultanément une large gamme de longueurs d’onde (J : 1,16-1,35 μm, HK : 1,49-2,45 μm ou IzJ : 0,82-1,55 μm) à une résolution de 20000 sur des sources faibles compactes ou non résolues. Trois fentes seront disponibles : 3′′×16 mas (IzJ), 15′′×20 mas (J & HK), 3′′×48 mas (IzJ & HK).

Crédit : MICADO et MORFEO consortium
Pour obtenir des images à la limite de diffraction du télescope, MICADO bénéficiera d’une correction d’optique adaptative de deux types :
- une correction de type SCAO (single conjugate adaptive optics), disponible dès la première lumière et développée au sein de MICADO. Il s’agit de l’optique adaptative classique sur étoile naturelle, utilisant les miroirs déformables de l’ELT
- une correction de type MCAO (multi conjugate adaptive optics), développée par le consortium MORFEO et disponible quelques années après la première lumière de MICADO. Il s’agit d’une correction grand champ, sur étoiles naturelles et lasers, utilisant les miroirs déformables de l’ELT et des miroirs déformables additionnels installés dans le module d’OA.
La contribution française et du LESIA à l’instrument
La France est un contributeur majeur à MICADO. Elle est présente au sein du projet au niveau co-I. Placée sous responsabilité LESIA, la contribution française fait intervenir aussi le GEPI, UTINAM, la Division Technique de l’INSU, le LMA et le LCF. Elle fait aussi intervenir la structure nationale EFISOFT de l’INSU.
La contribution française porte sur le développement :
- du module SCAO de l’instrument ;
- du mode haut contraste de l’instrument.
Le module SCAO de MICADO
Les principales spécifications qui guident la conception du module d’optique adaptative de type SCAO de MICADO sont les suivantes :
- réaliser l’analyse de front d’onde dans le visible, entre 0,589 μm et 0,96 μm, sur des sources de magnitude allant de 7 à 16 en bande V (avec comme but de V=-1.46 à V=17) ;
- atteindre une performance sur axe de 60% de rapport de Strehl à 2,2 μm dans des conditions atmosphériques médianes à 30° du zénith ;
- permettre l’observation d’objets non sidéraux avec une vitesse différentielle entre un tel objet et la source de référence pouvant aller jusqu’à 100 arcsec/h (but : 200 arcsec/h) ;
- être capable de fermer la boucle d’optique adaptative sur des objets de diamètre jusqu’à 1 arcsec.

Crédit : Consortium MICADO
L’opto-mécanique du module SCAO de MICADO est située dans un sous-ensemble nommé "Green Doughnut" ou "NGS module", placé juste au-dessus du cryostat de MICADO auquel il est fixé. Il tourne donc solidairement avec lui. Le module SCAO occupe la partie supérieure du Green Doughnut, avec une enveloppe allouée d’environ 2,8 m de diamètre sur une hauteur de 350 mm et une masse allouée de 700 kg. La partie inférieure du Green Doughnut est occupée par les trois analyseurs doubles sur étoile naturelle de MORFEO.

Crédit : Consortium MICADO
Le module SCAO se compose des sous-systèmes opto-mécaniques suivants :
- l’analyseur de surface d’onde, basé sur un analyseur de type pyramide et lui-même décomposé en plusieurs sous-ensembles qui permettent d’assurer son bon fonctionnement : un sélecteur de champ, un correcteur d’aberrations non communes, un système de modulation, un compensateur de rotation de pupille, etc.
- l’unité de calibration de la SCAO, avec une configuration pour la phase d’intégration et de tests permettant de valider les performances de la SCAO et une configuration déployée, au final, sur l’instrument permettant de réaliser les étalonnages indispensables à la SCAO ;
- la lame dichroïque SCAO partageant le flux reçu du télescope entre la voie d’analyse et la voie scientifique ;
- la structure Green Doughnut rassemblant les composants mécaniques supportant ces trois précédents sous-systèmes.
La conception de la SCAO de MICADO comprend aussi :
- l’ensemble du logiciel de contrôle commande pilotant les éléments de la SCAO, basé sur l’architecture développée par l’ESO et mis en oeuvre au sein de la structure nationale EFISOFT pour les contributions françaises aux instruments ELT ;
- le calculateur temps-réel permettant de calculer les commandes envoyées aux miroirs correcteurs situés dans le télescope. Celui-ci sera basé sur la plateforme COSMIC, développée au LESIA en collaboration avec l’Australian National University et s’appuyant sur des accélérateurs matériels (carte GPU) et le calcul haute performance ;
- l’électronique de contrôle.

Crédit : Consortium MICADO
Enfin, outre les études de conception proprement-dites de la SCAO, son développement inclut :
- de la R&D en optique adaptative liée aux problématiques ELT ou à l’analyse de front d’onde pyramide (ex : analyse de front d’onde et commande en optique adaptative pour la pupille fragmentée de l’ELT, gestion de la prise au vent et des vibrations pour la commande de la SCAO de MICADO) ;
- de nombreux prototypages : pilotage de module Beckhoff, analyse de front d’onde pyramide, miroir en toit, sélecteur de champ ;
- des simulations numériques de performances de la SCAO.
Le mode haut contraste de MICADO
Les principales spécifications guidant la conception du mode haut contraste de MICADO sont les suivantes :
- après un post-traitement approprié, les coronographes doivent atteindre les contrastes suivants : 1/10000 à une séparation de 100 mas, 1/100000 à une séparation de 500 mas ;
- les coronographes en plan focal doivent avoir une atténuation du pic central en bande K plus grande que 30.

Crédit : Consortium MICADO
Trois modes d’observation à haut contraste sont prévus :
- coronographe en plan focal : trois masques focaux sont prévus pour optimiser la détection des planètes et l’observation de disques à différentes distances de l’étoile et pour différentes conditions d’observation (cibles faibles, effets de dispersion atmosphérique, longueurs d’onde). Ces masques seront associés à un diaphragme de Lyot (deux autres diaphragmes combinés à une densité neutre seront utilisés pour étalonner la mesure photométrique du signal de la planète ou du disque) ;
- masque pupillaire d’apodisation de phase qui permet la détection des planètes à faible distance de l’étoile. Un composant vAPP, conçu par l’Université de Leiden, sera intégré à MICADO. Ce mode est moins sensible à l’erreur résiduelle de tip-tilt du système d’optique adaptative et est complémentaire des coronographes en plan focal ;
- imagerie d’ouverture non redondante : il est prévu deux masques d’amplitude en plan pupille parsemés de trous. Ils utilisent la technique de masquage non redondant pour permettre une détection à la limite de diffraction voire en dessous. Ces masques auront un nombre et une configuration de trous différents, permettant ainsi d’adapter le masque suivant la cible et le type d’objet observé (cible faible, recherche de compagnon ou détection de disque, bande spectrale).

Crédit : Consortium MICADO
Outre la conception des masques proprement-dite, le développement du mode haut contraste de MICADO comprend aussi :
- des simulations numériques de performances de chacun des modes d’observations haut contraste, en incluant de nombreux effets tels que les résidus de turbulence après l’optique adaptative en fonction des conditions atmosphériques, les aberrations statiques, la largeur spectrale des filtres, l’angle zénithal, les segments manquants du télescope, la magnitude de l’étoile (déterminant le bruit de photon), bruit de détecteur, émission thermique du télescope et du fond de ciel etc.
- le développement d’un algorithme d’estimation des erreurs de centrage de l’étoile centrale pour les coronographes de Lyot (STARLOC).
Principaux jalons du projet
Les principaux jalons du projet sont les suivants :
- phase A : 2008-2010
- signature du contrat avec l’ESO : septembre 2015
- revue de conception préliminaire : novembre 2018 (validée officiellement en janvier 2020)
- revues de conception finale : avril 2021 à juillet 2024
- recette préliminaire en Europe (preliminary acceptance Europe) : fin 2028
- commissioning de la configuration standalone (i.e. sans MORFEO) : fin 2028 à mi 2029