« Si cela pouvait fonctionner en pratique, ce serait une avancée révolutionnaire »
Voici la phrase que l’on pouvait lire dans le rapport final du Very Large Telescope Project de 1986, un an avant le lancement officiel de l’un des plus grands observatoires du monde : le Very Large Telescope (VLT). Près de quarante ans plus tard, cette vision est devenue réalité !
Constitué de quatre télescopes principaux de 8,2 mètres et de quatre télescopes auxiliaires de 1,8 mètre, le VLT est aujourd’hui l’observatoire astronomique terrestre le plus avancé au monde dans le domaine optique. Le VLTI (Very Large Telescope Interferometer) est un mode de fonctionnement du VLT consistant à combiner la lumière de plusieurs télescopes grâce à la technique de l’interférométrie. Cette méthode permet au VLT d’observer le ciel avec une finesse de détail équivalente à celle d’un télescope unique géant, dont le diamètre correspondrait à la plus grande distance séparant les télescopes.
Toutefois, malgré les performances de l’interférométrie et le fait que le VLT soit installé sous l’un des ciels les plus purs de la planète — dans le désert d’Atacama, au nord du Chili —, l’atmosphère terrestre n’est pas un milieu stable. Elle est formée de couches d’air turbulentes qui déforment la lumière des objets célestes, provoquant le fameux scintillement des étoiles visible à l’œil nu. Afin de corriger ces perturbations, les astronomes ont mis au point la technique de l’optique adaptative, qui consiste à analyser en temps réel les turbulences atmosphériques à partir d’une étoile de référence brillante. Un miroir déformable situé dans chaque télescope est ajusté plusieurs milliers de fois par seconde, compensant ainsi les perturbations subies par la lumière et restituant des images aussi nettes que si elles étaient prises dans l’espace.
Cette technique a longtemps été limitée par la nécessité de disposer d’une étoile de référence proche de la cible observée. Que faire alors lorsqu’aucune étoile brillante ne se trouve à proximité ? La solution est ingénieuse : en créer une ! De puissants faisceaux laser sont émis depuis les télescopes pour exciter des atomes de sodium dans la haute atmosphère, créant ainsi une étoile artificielle à environ 90 km d’altitude. Cette étoile sert alors de point de référence pour corriger les turbulences n’importe où dans le ciel, ouvrant ainsi l’ensemble du ciel austral aux observations du VLT et faisant du VLTI l’interféromètre optique déjà le plus puissant du monde.
C’est grâce à cette avancée que l’instrument interférométrique GRAVITY, développé en partie par les équipes du LIRA, a pu accomplir des prouesses depuis 2016 : imager des exoplanètes, observer des étoiles proches et lointaines, et étudier en détail des objets faibles en orbite autour du trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée.
Et de quatre !
Jusqu’à récemment, un seul des télescopes du VLT était équipé de lasers de ce type. L’optique adaptative basée sur une étoile artificielle n’était donc possible qu’avec ce télescope, empêchant d’exploiter pleinement la puissance combinée des quatre géants. L’installation d’un laser sur chacun des trois autres télescopes représente une réalisation majeure de ce projet réalisé en un temps record (cinq ans seulement !), portant l’instrument GRAVITY vers un nouveau niveau de performance avec GRAVITY+.
« Avec l’arrivée d’étoiles lasers, on réalise le "VLTI extended array" envisagé dès 1989 par les pionniers du VLT, dont Pierre Léna, fondateur de notre équipe d’interférométrie et d’optique adaptative au sein du LIRA, aujourd’hui mondialement reconnue », précise Thibaut Paumard, chercheur CNRS au LIRA – Observatoire de Paris-PSL, coordinateur et co-investigateur de la contribution française de GRAVITY+.
Grâce à ces nouvelles capacités, la quantité de lumière collectée et transmise dans l’instrument augmente considérablement, rendant GRAVITY+ jusqu’à dix fois plus sensible. Cette performance accrue permettra d’observer des trous noirs stellaires isolés, des planètes errantes ne gravitant autour d’aucune étoile, et de mesurer la masse de milliers de trous noirs au cœur de plus de galaxies lointaines.
« GRAVITY+ inaugure une révolution visuelle annonciatrice d’une révolution astronomique, en atteignant une sensibilité et une profondeur d’intégration sans précédent à une telle résolution angulaire », explique Miguel Montargès, astronome adjoint au LIRA – Observatoire de Paris-PSL, membre de l’équipe de qualification et de vérification de l’instrument.
Pour leurs premières observations de test avec les nouveaux lasers, les équipes de GRAVITY+ et de l’ESO à Paranal ont choisi pour cible la nébuleuse de la Tarentule, une vaste région de formation d’étoiles située dans l’une de nos galaxies satellites, le Grand Nuage de Magellan. Ces premières données ont révélé qu’un objet brillant de la nébuleuse, jusque-là considéré comme une étoile unique, est en réalité un système binaire composé de deux étoiles très proches l’une de l’autre. Cette découverte illustre de manière spectaculaire les nouvelles capacités du VLTI et le potentiel scientifique exceptionnel qu’offre sa version modernisée.
« Avec ces quatre étoiles lasers, GRAVITY+ a réalisé ce qu’avaient imaginé les pionniers qui ont imaginé le VLTI. La perspective d’accroître la sensibilité de GRAVITY pour découvrir de nouvelles étoiles plus proches du trou noir central supermassif est très enthousiasmante, notamment pour l’équipe du LIRA dont l’un des objectifs est la mesure du spin du trou noir grâce à de telles étoiles », ajoute Guy Perrin, astronome au LIRA – Observatoire de Paris-PSL, responsable national et co-investigateur du projet GRAVITY.
Contacts LIRA : Thibaut PAUMARD, Guy PERRIN, Roderick DEMBET
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