La rareté des planètes circumbinaires
Comprendre la formation des planètes éclaire la naissance de notre système solaire et nos propres origines. Contrairement au Soleil, seule étoile du système solaire, la plupart des étoiles naissent par paires ou en groupes dans des systèmes multiples. Il est donc crucial d’estimer l’effet de cette binarité sur la formation planétaire, dites circumbinaires.
Pourtant, les détections de planètes dans ces systèmes — parfois surnommées planètes de type Tatooine en référence à Star Wars — restent exceptionnellement rares. On connaît aujourd’hui près de 800 systèmes binaires hébergeant des exoplanètes. Une étude récente menée par Philippe Thébault, chercheur au LIRA, montre que la présence d’une seconde étoile perturbe la formation planétaire, même lorsque les deux étoiles sont très éloignées l’une de l’autre — parfois à des distances de plusieurs centaines de fois celle séparant la Terre du Soleil. En effet, seules 22 % des étoiles possédant des planètes ont un compagnon stellaire, alors que 46 % des étoiles de notre Galaxie font partie d’un système binaire.
Parmi cet ensemble de systèmes binaires connus, seules six planètes ont été détectées par imagerie directe, c’est-à-dire observées directement sur des images. Un échantillon bien trop limité, alors même que cette technique permet d’obtenir des informations cruciales sur les propriétés physiques des planètes et d’apporter une compréhension plus solide de leurs mécanismes de formation, en comparaison avec ceux à l’œuvre autour d’étoiles simples.
Une planète cachée dans des archives
Dans le cadre du projet ERC COBREX, dont l’objectif est de réanalyser systématiquement des milliers d’observations d’archives à l’aide d’outils avancés améliorant considérablement la détection de planètes, l’équipe de scientifiques a identifié plusieurs candidats ayant échappé aux analyses initiales des données de l’instrument Gemini Planet Imager (GPI) du télescope Gemini Sud. L’un d’eux orbitait autour de HD 143811, un système binaire jeune, âgé d’environ 15 millions d’années, situé à 137 parsecs dans l’association Scorpius-Centaurus, au sein de la pouponnière d’étoiles la plus proche de nous.
Observé en 2016 et 2019 avec GPI, ce candidat semblait accompagner les étoiles dans leur mouvement, mais son faible signal en 2019 laissait planer un doute. Une nouvelle observation avec l’instrument SPHERE du VLT en juillet 2025 a tranché : le compagnon brillait exactement à la position attendue pour une planète en orbite. Grâce à cet effort, l’équipe a confirmé l’existence de HD 143811 b, une planète tournant autour de deux étoiles binaires. Elle devient ainsi la septième planète circumbinaire imagée et rejoint le cercle très restreint d’environ 50 planètes directement photographiées au cours des 20 dernières années.
Cette découverte a par ailleurs été corroborée de manière indépendante par une équipe américaine, qui est parvenue simultanément à une détection à partir des données du télescope Keck (Jones et al., 2025), renforçant ainsi la robustesse du résultat.
HD 143811 b, la planète circumbinaire aux propriétés particulièrement intéressantes
HD 143811 b se distingue des six autres planètes circumbinaires imagées jusqu’à présent. Elle est en effet la plus proche de son système, à seulement 60 unités astronomiques, une distance plus comparable à celle observée dans notre Système solaire, alors que les autres planètes de ce type se situent généralement à plusieurs centaines d’unités astronomiques. Elle est également la moins massive de cette catégorie.
Les neuf années d’observations ont montré qu’elle faisait le tour de ses deux étoiles en environ 320 ans sur une trajectoire quasi circulaire, vue presque de face depuis la Terre. L’analyse de sa lumière a révélé une température de surface de 1000 Kelvin, correspondant à une planète gazeuse 6,1 fois plus massive que Jupiter, mais seulement 40% plus large. La planète apparaît encore chaude et gonflée, comme toutes les géantes gazeuses dans leur jeunesse.
Les prochaines observations
Dans les mois à venir, cette équipe compte utiliser les instruments GRAVITY+ du VLT et le coronographe de MIRI du James Webb Space Telescope, deux instruments à forte contribution LIRA, pour affiner son orbite et de caractériser en détail la composition de son atmosphère. Cette découverte illustre également le potentiel de la réanalyse des archives avec des algorithmes modernes. La caractérisation précise de cette nouvelle planète circumbinaire et la comparaison avec d’autres planètes jeunes seront cruciales pour comprendre les mécanismes de formation de ces mondes fascinants.
Contacts : Johan Mazoyer & Anne-Marie Lagrange
En savoir plus :
- CNRS communiqué de presse
- Northwester communiqué de presse
- ERC COBREX
- Article de l’équipe européenne : V. Squicciarini et al., "GPI+SPHERE detection of a 6.1MJup circumbinary planet around HD 143811", Astronomy & Astrophysics, septembre 2025
- Article de l’équipe américaine : Jones et al 2025