Première image d’une planète si proche d’étoiles doubles

19 décembre 2025 Par Raphaël de Assis Peralta Première image d'une planète si proche d'étoiles doubles

À l’heure où le dernier opus d’Avatar vient de sortir au cinéma, dont l’action se déroule sur Pandora, une lune de la planète gazeuse Polyphème située dans le système stellaire multiple le plus proche de nous, Alpha du Centaure, il est légitime de se demander si de tels mondes peuvent réellement exister… La réponse est oui ! Récemment, une équipe de recherche, comprenant des scientifiques de l’Observatoire de Paris – LIRA, a annoncé la découverte d’une nouvelle exoplanète en orbite autour d’un système d’étoiles doubles. Baptisée HD 143811 b, cette planète géante a été détectée par imagerie directe grâce aux instruments SPHERE du Very Large Telescope (VLT) et GPI du télescope Gemini Sud. Devenant ainsi la septième planète circumbinaire jamais imagée, HD 143811 b se distingue par sa proximité avec son système hôte et par le fait qu’elle est la moins massive connue dans cette catégorie.

La rareté des planètes circumbinaires

Tatooine, la planète aux deux étoiles, imaginées par George Lucas dans Star Wars.
Crédit : Star Wars/Disney

Comprendre la formation des planètes éclaire la naissance de notre système solaire et nos propres origines. Contrairement au Soleil, seule étoile du système solaire, la plupart des étoiles naissent par paires ou en groupes dans des systèmes multiples. Il est donc crucial d’estimer l’effet de cette binarité sur la formation planétaire, dites circumbinaires.

Pourtant, les détections de planètes dans ces systèmes — parfois surnommées planètes de type Tatooine en référence à Star Wars — restent exceptionnellement rares. On connaît aujourd’hui près de 800 systèmes binaires hébergeant des exoplanètes. Une étude récente menée par Philippe Thébault, chercheur au LIRA, montre que la présence d’une seconde étoile perturbe la formation planétaire, même lorsque les deux étoiles sont très éloignées l’une de l’autre — parfois à des distances de plusieurs centaines de fois celle séparant la Terre du Soleil. En effet, seules 22 % des étoiles possédant des planètes ont un compagnon stellaire, alors que 46 % des étoiles de notre Galaxie font partie d’un système binaire.

Parmi cet ensemble de systèmes binaires connus, seules six planètes ont été détectées par imagerie directe, c’est-à-dire observées directement sur des images. Un échantillon bien trop limité, alors même que cette technique permet d’obtenir des informations cruciales sur les propriétés physiques des planètes et d’apporter une compréhension plus solide de leurs mécanismes de formation, en comparaison avec ceux à l’œuvre autour d’étoiles simples.

Une planète cachée dans des archives

L’instrument SPHERE, dont le LIRA est fortement impliqué, équipe un des quatre télescopes géants du Very large telescope (VLT) au Chili, qui a révélé des exoplanètes par imagerie directe.
Crédit : Claude DELHAYE/ESO/CNRS Photothèque

Dans le cadre du projet ERC COBREX, dont l’objectif est de réanalyser systématiquement des milliers d’observations d’archives à l’aide d’outils avancés améliorant considérablement la détection de planètes, l’équipe de scientifiques a identifié plusieurs candidats ayant échappé aux analyses initiales des données de l’instrument Gemini Planet Imager (GPI) du télescope Gemini Sud. L’un d’eux orbitait autour de HD 143811, un système binaire jeune, âgé d’environ 15 millions d’années, situé à 137 parsecs dans l’association Scorpius-Centaurus, au sein de la pouponnière d’étoiles la plus proche de nous.

Observé en 2016 et 2019 avec GPI, ce candidat semblait accompagner les étoiles dans leur mouvement, mais son faible signal en 2019 laissait planer un doute. Une nouvelle observation avec l’instrument SPHERE du VLT en juillet 2025 a tranché : le compagnon brillait exactement à la position attendue pour une planète en orbite. Grâce à cet effort, l’équipe a confirmé l’existence de HD 143811 b, une planète tournant autour de deux étoiles binaires. Elle devient ainsi la septième planète circumbinaire imagée et rejoint le cercle très restreint d’environ 50 planètes directement photographiées au cours des 20 dernières années.

Cette découverte a par ailleurs été corroborée de manière indépendante par une équipe américaine, qui est parvenue simultanément à une détection à partir des données du télescope Keck (Jones et al., 2025), renforçant ainsi la robustesse du résultat.

HD 143811 b, la planète circumbinaire aux propriétés particulièrement intéressantes

Vidéo accélérée de l’exoplanète HD 143811 b orbitant autour de ses deux étoiles.
Ce timelapse, interpolé informatiquement à partir de 2 observations des instrument GPI et SPHERE (VLT), prises sur une période de 9 années d’observations. Une orbite complète de la planète autour de ses deux étoiles nécessite environ 320 années terrestres, soit légèrement plus que la durée de l’orbite de Pluton autour du Soleil. Afin de rendre la planète visible, les astronomes ont masquée la lumière des étoiles au centre par coronographie. Deux icônes en forme d’étoile indiquent leur position.
Crédit : Jason Wang (Northwestern)/Nathalie Jones (Northwestern)/Vito Squicciarini(LIRA - Paris Observatory - PSL / Exeter)

HD 143811 b se distingue des six autres planètes circumbinaires imagées jusqu’à présent. Elle est en effet la plus proche de son système, à seulement 60 unités astronomiques, une distance plus comparable à celle observée dans notre Système solaire, alors que les autres planètes de ce type se situent généralement à plusieurs centaines d’unités astronomiques. Elle est également la moins massive de cette catégorie.

Les neuf années d’observations ont montré qu’elle faisait le tour de ses deux étoiles en environ 320 ans sur une trajectoire quasi circulaire, vue presque de face depuis la Terre. L’analyse de sa lumière a révélé une température de surface de 1000 Kelvin, correspondant à une planète gazeuse 6,1 fois plus massive que Jupiter, mais seulement 40% plus large. La planète apparaît encore chaude et gonflée, comme toutes les géantes gazeuses dans leur jeunesse.

Les prochaines observations

Image en noir et blanc des quatre lasers pointés vers la cible d’observation du Very Large Telescope Interferometer (VLTI) de l’ESO avec l’instrument GRAVITY+.
Crédit : ESO

Dans les mois à venir, cette équipe compte utiliser les instruments GRAVITY+ du VLT et le coronographe de MIRI du James Webb Space Telescope, deux instruments à forte contribution LIRA, pour affiner son orbite et de caractériser en détail la composition de son atmosphère. Cette découverte illustre également le potentiel de la réanalyse des archives avec des algorithmes modernes. La caractérisation précise de cette nouvelle planète circumbinaire et la comparaison avec d’autres planètes jeunes seront cruciales pour comprendre les mécanismes de formation de ces mondes fascinants.

Contacts : Johan Mazoyer & Anne-Marie Lagrange

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