Les amas globulaires : des fossiles galactiques à la mémoire effacée
Les amas globulaires sont parmi les plus vieux habitants de notre Galaxie. Ces sphères denses, regroupant des centaines de milliers d’étoiles agglomérées par la force gravitationnelle, sont de véritables fossiles cosmiques. Leur étude permet de remonter le fil de l’histoire de la Voie lactée et de comprendre comment elle s’est formée et enrichie au fil du temps.
Certains de ces amas sont nés in situ, directement dans notre jeune Galaxie il y a environ 12 milliards d’années (décalage spectral de z = 3), tandis que d’autres sont ex situ, formés dans des galaxies satellites avant d’être capturés par la Voie lactée il y a environ 10 milliards d’années (z = 2) lors d’accrétions et de fusions (cf. Figure 1).
Distinguer ces deux familles aujourd’hui (z = 0) n’est pas simple. Traditionnellement, les astronomes utilisent les propriétés orbitales actuelles des amas, telles que leur vitesse et position pour tenter de retracer leur origine. Mais ces méthodes présentent des limites : au fil des milliards d’années, le passé mouvementé de la Voie lactée a brouillé les traces de ces objets. Sa masse a augmenté, son champ gravitationnel a évolué, et les amas ex situ ont peu à peu perdu la mémoire de leur trajectoire initiale, rendant leur identification complexe.
Une approche cosmologique inédite
Dans le but de mieux retracer l’histoire des amas globulaires, une équipe européenne dirigée par le LIRA, en collaboration avec des chercheurs de l’Institute for Astrophysics Potsdam (Allemagne) et du Lund Observatory (Suède), a mis au point une méthode inédite : simuler l’évolution de galaxies analogues à la notre afin d’étudier l’histoire de leurs populations d’amas sur plusieurs milliards d’année.
Pour cela, les chercheurs ont simulé près de 18,000 amas globulaires répartis dans environ 200 galaxies, depuis l’Univers jeune (z = 3) jusqu’à aujourd’hui. Leur modèle prend en compte les principaux processus physiques influençant l’évolution de ces systèmes, telles que les fusions de galaxies, la friction gravitationnelle ou encore la perte de masse des amas. En reproduisant ainsi les effets dominants de l’évolution galactique sur un échantillon aussi vaste, l’équipe obtient une vision statistiquement robuste de la formation et l’évolution des amas globulaires, un peu comme si l’on déroulait un film retraçant l’histoire de notre Galaxie.
En combinant les résultats des simulations avec les données réelles de Gaia, qui fournit les positions et vitesses de 161 amas de notre Galaxie, l’équipe a mis en évidence une proportion presque égale entre les amas in situ et ex situ de la Voie lactée — un résultat en net contraste avec les estimations précédentes, mettant en lumière le rôle des accrétions et fusions galactiques dans la construction de notre Galaxie (cf. Figure 2). L’étude confirme également l’origine ex situ de certains systèmes emblématiques, tels qu’Oméga du Centaure ou les amas associés à la galaxie naine du Sagittaire, ce qui montre la résistance remarquable de ces amas face aux forces de marée. Toutefois, les chercheurs soulignent que la distinction entre amas in situ et ex situ est plus floue qu’on ne le pensait. En effet, si les amas in situ sont essentiellement observés dans la région centrale de la galaxie, les amas ex situ, eux, occupent tout l’espace galactique, créant une zone de mélange où les deux populations se chevauchent. Ainsi, l’origine de certains amas demeure ambiguë, et pourrait être précisée grâce à de futures mesures spectroscopiques.
JWST et Euclid : une nouvelle ère pour l’étude des amas globulaires
Au-delà de la révolution apportée par Gaia qui a fourni des informations d’une précision inédite sur les amas globulaires, ces données ne concernent qu’un seul exemple : le nôtre.
Il est donc essentiel d’étendre nos observations à des amas situés dans d’autres galaxies afin d’enrichir la statistique disponible (cf. Figure 3). Cette démarche est déterminante pour tester les modèles de formation et d’évolution des amas globulaires, mais aussi pour affiner notre compréhension cosmologique, en validant ou en écartant certains scénarios alternatifs de matière noire — les amas constituant en effet d’excellents traceurs de cette dernière [1].
La mission Euclid dressera un portrait inédit des populations d’amas globulaires en détectant potentiellement un demi-million d’amas extragalactiques jusqu’à près de 100 Mpc. Contrairement au Hubble Space Telescope qui possède un petit champ de vision, le relevé large d’Euclid couvrira de vastes zones du ciel en une seule image, permettant de caractériser les amas autour de galaxies de tous types, dans des environnements de forte ou faible densité, et même de localiser des amas très éloignés de leur galaxie hôte, bien au-delà de nos capacités présentes.
En parallèle, le James Webb Space Telescope (JWST) observera les amas en formation à très haut redshift, avec une sensibilité et une résolution spatiale exceptionnelles. Combiné à l’effet grossissant des lentilles gravitationnelles naturelles, JWST permet déjà de distinguer des structures de quelques dizaines de parsecs à z > 4, et même d’identifier des amas stellaires individuels — de potentiels futurs amas globulaires. Ces observations ouvrent la voie à l’étude directe de la formation des amas globulaires dans l’Univers jeune, tout en renforçant et en consolidant nos modèles de formation d’amas.
Nous nous trouvons ainsi à l’age d’or des amas globulaires grâce à JWST, Gaia et Euclid offriront ensemble une vision cohérente, depuis les amas en formation dans l’Univers primitif jusqu’aux populations matures dans l’Univers local.
Contact : Pierre Boldrini
[1] Boldrini, P. and Di Matteo, P. In situ globular clusters in alternative dark matter Milky Way galaxies : a first approach to fuzzy and core-like dark matter theories, submitted A&A (2025).