Les cibles scientifiques de GRAVITY+
Faire de l’interférométrie une technique généraliste pour l’astronomie

7 décembre 2024

Grâce aux performances promises par GRAVITY+, l’interférométrie optique ne sera plus une technique de spécialiste cantonnée à quelques domaines d’application très spécifiques, mais deviendra l’outil naturel pour répondre à des questions scientifiques variées. Nous en listons ici quelques unes.

Le Centre Galactique

GRAVITY+ offre une sensibilité accrue et des performances plus stables par rapport aux optiques adaptatives (AO) actuelles, bas ordres et sur étoiles naturelles uniquement, grâce aux nouvelles AO extrêmes sur étoile guide laser (LGS). GRAVITY+ permettra donc de réaliser trois objectifs.

  1. étudier l’environnement très proche de Sgr A* et sa distribution de masse, qui selon les modèles doit contenir une population d’étoiles plus faibles que la magnitude limite de GRAVITY (K=19 sur les images les plus profondes), des résidus (dont trous noirs) stellaires et de petits nuages interstellaires ;
  2. tester la relativité générale et mesurer le taux de rotation du trou noir à l’aide des orbites des étoiles ainsi détectées ;
  3. étudier la structure du champ magnétique et des mouvements de gaz près de la dernière orbite stable.

Noyaux actifs de galaxies à grand décalage vers le rouge (redshift)

Pratiquement toutes les galaxies de l’Univers hébergent un trou noir supermassif ou SMBH (Super Massive Black Hole), d’une masse comprise entre 106 et 1010 masses solaires. Cette masse est étroitement corrélée avec les propriétés de la galaxie hôte (e.g dispersion des vitesses stellaires et masse du bulbe) bien qu’elle ne représente qu’1‰ de celle de la galaxie. Cette évolution commune entre SMBH et galaxies renseigne sur les processus physiques des premières phases de la formation des galaxies. Cependant, notre compréhension actuelle s’appuie sur des relations d’échelle déduite par cartographie de réverbération dans l’Univers local pour des SMBH de l’ordre de 109 masses solaires. Le temps dynamique de réverbération est inobservable pour les trous noirs plus massifs et/ou sujets à la dilatation cosmologique du temps. La couverture du ciel et la sensibilité de GRAVITY+ permettront d’accéder à plusieurs centaines de SMBH à un redshift (z) d’environ 0,3 ; une centaine à z entre 0,8 et 1 ; et environ 20 à z autour de 2.

Impact du gain en sensibilité de GRAVITY+ sur le nombre de quasars de type 1, dont GRAVITY+ résoudra la région de raies larges (BLR).

Ces sources échantillonnent les pics de croissance des trous noirs et de la formation stellaire ainsi que les SMBH les plus lumineux. GRAVITY+ deviendra ainsi un véritable explorateur cosmologique, permettant d’étudier les phénomènes d’accrétion super-Eddington [1], les événements de disruption d’étoiles par effet de marée et le problème du « parsec final » [2].

Caractérisation des exoplanètes

La composition actuelle des atmosphères des exoplanètes contient la trace de leur mode de formation et de leur évolution (Madhusudhan 2019). Pourtant, les efforts intenses menés avec des techniques traditionnelles (spectroscopie des transits et imagerie directe) n’ont permis de déterminer leurs abondances chimiques qu’à un ordre de grandeur près (par exemple Kreidberg et al. 2014). L’association de l’AO extrême et de l’interférométrie dans GRAVITY+ permettra d’étudier de manière approfondie la douzaine d’exoplanètes jeunes connues et d’atteindre plusieurs objectifs. En premier lieu, de mesurer leurs masses respectives grâce aux données mises à disposition dans le catalogue établi par la mission Gaia (ESA), puis en étudiant leurs vitesses radiales et/ou leurs perturbations gravitationnelles. En second lieu, d’étudier leur brillance par détection directe de leurs émissions thermiques propres. En troisième lieu, de déterminer leurs compositions chimiques grâce à la spectroscopie en bande K. La publication de Gaia DR4 fournira plusieurs dizaines d’autres exoplanètes jeunes à faible séparation (et donc non détectées par l’imagerie AO) mais accessibles à GRAVITY+.

Exoplanètes détectées en fonction de leur demi-grand axe et de leur masse. Superposée à ces détections, en vert clair, prévision de détection d’exoplanètes par GRAVITY+ (à partir de la distribution de Kopparapu et al. 2018). En insert, nombre de nouvelles exoplanètes détectées en fonction de la sensibilité de l’instrument).

Les diagrammes Masse/Luminosité/Métallicité/Age ainsi construits seront de précieux marqueurs des processus physiques de formation. Finalement, le domaine de contraste/séparation accessible à GRAVITY+ pourrait permettre de détecter quelques exoplanètes matures en lumière réfléchie et similaires à Jupiter. De telles détections pourraient réorienter la manière dont la communauté envisage de détecter et caractériser des exo-terres dans le futur lointain.

Crédits image de bannière : ESO/Luis Calçada


[1Phénomènes d’accrétion où la limite d’Eddington est dépassée, c’est-à-dire lorsque la pression de radiation de la lumière l’emporte sur la gravité, entraînant la matière avec elle.

[2Comment une paire de SMBH formée par la collision de deux galaxies peut dissiper du moment angulaire lorsque leur séparation est de l’ordre du parsec.