Historique de l’optique adaptative au LIRA

8 février 2012 Par Eric Gendron

Problématique

Front d’onde perturbé par l’atmosphère
Cette image représente la façon
dont les masses d’air chaud et
d’air froid se mélangent de façon
turbulente dans l’atmosphère, et
perturbent la lumière. Les zones
claires traduisent un air plus ch-
aud et donc une avance de phase,
les zones noires un air plus froid
et donc un retard de l’onde lumineuse.

L’optique adaptative est un remède à un mal que connaissent tous les astronomes. Aussi, avant de décrire le remède doit-on expliquer le mal dont il est question.

Effets de la turbulence
Video : Image d’une étoile
vue à travers un télescope,
brouillée à cause des effets
de la turbulence atmosphérique

Tous les télescopes au sol observent à travers l’atmosphère terrestre. Celle-ci est le lieu de mouvements turbulents de masses d’air à différentes températures. Ces différences de température engendrent des différences dans l’indice optique du milieu traversé, et s’en suivent des perturbations dans la propagation lumineuse : l’onde, initialement plane avant de pénétrer dans l’atmosphère terrestre, parvient au sol sur l’ouverture du télescope avec des avances et des retards de chemin optique aléatoires entre deux rayons voisins. Le front d’onde est déformé, ce qui conduit à une dégradation de l’image de l’objet.

Le principe de l’optique adaptative est de faire réfléchir cette onde déformée sur un miroir dont la surface serait elle aussi déformée de façon à rajouter des avances et retards de chemin optique opposés à ceux que l’atmosphère terrestre a introduits. De cette façon, on restore sa planéité initiale et on redonne aux images leur qualité, qui n’est alors limitée que par la limite physique fondamentale imposée par la taille de l’ouverture de l’instrument : la limite de diffraction.

Qu’est ce que l’optique adaptative ?

L’optique adaptative permet de corriger en temps réel les déformations que le front d’onde lumineux a subi en traversant l’atmosphère terrestre. Cette correction se fait à l’aide d’un élément optique actif : un miroir déformable, dont la surface peut être déformée à volonté de quelques micromètres, et sur lequel l’onde se réfléchit. Après réflexion, et si la forme du miroir est appropriée, le front d’onde aura retrouvé sa planéité. Cette planéité est mesurée par un sous-système particulier, l’analyseur de surface d’onde. Tout défaut de planéité identifié est envoyé à un calculateur, qui réagit alors sur la forme du miroir déformable, le tout dans un laps de temps de l’ordre de 0.001s, c’est à dire plus vite que le temps caractéristique d’évolution de l’atmosphère.

Le système d’optique adaptative ne doit pas être confondu avec l’optique active : l’optique active est intégrée au télescope et agit sur celui-ci, son rôle est de maintenir en forme grâce à des vérins l’élément principal du télescope, le miroir primaire (plusieurs tonnes). Son temps de réaction est de plusieurs minutes et elle est destinée à corriger les défauts du télescope. L’optique adaptative, elle, se place après le télescope : elle récupère l’image distordue par la turbulence atmosphérique fournie par le télescope, et transforme optiquement le front d’onde pour envoyer vers l’instrument scientifique une image parfaite. Elle est destinée à corriger les défauts atmosphériques.

Ces différents liens renvoient vers des explications du fonctionnement de l’optique adaptative.

Historique de l’optique adaptative au LIRA

Préhistoire de l’optique adaptative

La première référence à l’optique adaptative est la publication de H. Babcock, dans les Publ. Astr. Soc. Pacific vol 65, en 1953. Il est le premier à avoir l’idée d’associer un système de mesure et un système correcteur de front d’onde temps réels. Il est malheureusement trop tôt pour la technologie de l’époque pour aboutir à un système opérationnel.

Dans les années 1970, aux Etats-Unis les programmes de défense s’intéressent à l’optique adaptative afin de surveiller les satellites espions, ou pour focaliser des lasers de puissance sur des satellites à partir du sol. Ces projets, qui seront progressivement partiellement déclassifiés dans les années 90, contribuent à développer l’optique adaptative aux Etats-Unis. En France, c’est dans les années 1980 que la défense française se penche sur le problème.

Historique de l’optique adaptative à l’Observatoire

En astronomie dans les années 1980, le VLT débute sa construction, mais il est important de préparer l’avenir : les 4 télescopes du VLT sont faits pour être utilisés in fine en mode interférométrique, ce qui suppose -pour une qualité optimale- de corriger le front d’onde sur chacun d’eux.

COME-ON

Pierre Léna donne en France et à l’ESO l’impulsion nécessaire pour qu’en 1986, un consortium réunissant l’ONERA, l’Observatoire de Paris, la CGE (maintenant CILAS), et l’ESO décide de fabriquer un prototype d’optique adaptative pour un grand télescope astronomique. Le projet s’appelle COME-ON, il est le clône d’un système de défense et va bénéficier des investissements et des avancées du domaine militaire.

COME-ON possède un miroir déformable à 19 actuateurs, et un analyseur de front d’onde à 5x5 sous-pupilles. Le succès de COME-ON est immédiat, il permet de publier les premières images corrigées par optique adaptative d’abord en France sur le télescope de 1m52 de l’OHP, puis sur le télescope de 3.60m de l’ESO à l’Observatoire de La Silla.

On voit sur les images ci-dessus le prototype COMEON en labo à gauche, et installé au foyer Coudé du 1m52 de l’OHP (Obs. Haute Provence). Ci-contre, la salle de contrôle et ses 6 claviers pour contrôler l’ensemble de l’expérience. Notez le grand rack vertical à gauche de l’image qui est le calculateur temps réel analogique qui calculait les centres de gravité des spots.

Ci-contre à gauche une photographie de l’écran de la caméra IR (cible 32x32) le 13 octobre 1989, prise en bande L (à λ=3.5µm) et la photographie de l’écran vidéo du Shack-Hartmann de COME-ON au-dessus, alors à 5x5 sous-pupilles. Ces deux images ont été prises à l’Observatoire de Haute Provence.


COME-ON-PLUS et ADONIS

En 1991 l’Observatoire de Paris, avec les mêmes partenaires, construit Come-On-Plus : le miroir compte alors 52 actionneurs, les analyseurs ont 7x7 sous-pupilles et les résultats sont tels que deux ans plus tard l’ESO décide d’offrir cet instrument à la communauté des astronomes sur le télescope de 3.60m à La Silla, sous le nom d’ADONIS
(site de ADONIS à l’ESO, non maintenu car l’instrument n’existe plus depuis 2002). Ci dessous on voit le télescope de 3.60m de l’ESO à La Silla, et le banc ComeOnPlus installé au foyer Cassegrain, en Mai 1992.


PUEO
La galaxie starburst NGC7469
avec PUEO
CFHT

En 1996, le système PUEO est mis en service sur le télescope de 3.60m du CFH. Sa conception a débuté en 1991. PUEO n’est pas basé sur un Shack-Hartmann, mais sur le concept d’analyseur de courbure de François Roddier (Univ. Hawaii). C’est un système comportant un miroir bimorphe, à 19 électrodes. Il est construit par le CFH, le DAO (Victoria, Canada) et CILAS, il est intégré et testé à l’Observatoire de Paris (pour en savoir plus : site du CFH).

La qualité du site du CFHT et la qualité du senseur de courbure feront de PUEO un instrument exceptionnel, qui va générer un nombre de publications exceptionnel en particulier dans la science extragalactique où les sources de référence sont très faibles et légèrement étendues (noyaux de galaxies) et sont inaccessibles à ADONIS et autres systèmes à Shack-Hartmann.


RASOIR

De 1996 à 1998, l’Observatoire développe RASOIR. Ce n’est pas un système d’optique adaptative entier, mais juste un analyseur de surface d’onde qui a la particularité de travailler dans l’infra-rouge (1 à 2.5µm). Il vient comme une extension du système ADONIS, et c’est un prototype. L’analyse de front d’onde dans l’infra-rouge est intéressante pour tous les objets sans contrepartie visible, c’est-à-dire les objets enfouis dans un cocon de poussière. La construction de cet analyseur est rendue possible au LIRA grâce à toute l’expérience acquise dans ce département sur les détecteurs infra-rouges pour l’astronomie et leur intégration.

RASOIR sera surtout le prototype permettant, plus tard, de concevoir l’analyseur de surface d’onde infra-rouge de NAOS.


NAOS au foyer Nasmyth du VLT
ESO
Region OMC1 dans Orion vue
à 2.12 µm avec NAOS.
NAOS
Titan observé avec NAOS
Titan, satellite de Saturne, observé
avec NAOS à 1.28µm. L’atmosph-
ère de Titan est transparente à
cette longueur d’onde, et laisse
apercevoir le sol. Le diamètre de
Titan est de 0.8’’.
Image en bande L (3.5µm) du
centre Galactique avec NAOS.
Image de la lune par NAOS.
ESO

De 1996 à 2001, l’Observatoire de Paris participe au système NAOS (voir liens vers sites de l’ESO, de l’ONERA et de l’Observatoire), développé sous la maîtrise d’œuvre de l’ONERA et en collaboration avec l’Observatoire de Grenoble. NAOS équipe le foyer Nasmyth de l’un des VLT (UT4 dit Yepun), c’est un système avec un miroir déformable de type piezostack à 185 actionneurs, des analyseurs à 14x14 sous-pupilles et à 7x7 sous-pupilles pour les objets faibles, et de nombreux modes de fonctionnement. Il comporte un analyseur de surface d’onde travaillant dans le visible, et -nouveauté- un autre travaillant dans l’IR (1 à 2.5 µm) développé grâce aux acquis de RASOIR et utile pour tous les objets qui n’ont pas de contrepartie visible. La fréquence d’échantillonage de la boucle d’optique adaptative (la vitesse de rafraîchissement) est de 440 Hz au maximum pour les étoiles brillantes, jusqu’à 25 Hz pour les étoiles les plus faibles.
Un effort important a été effectué pour rendre ce système opérationnel pour des astronomes qui n’ont pas vocation à connaître les détails internes de l’optique adaptative.
Il est egalement équipé de systèmes permettant de suivre et de compenser le mouvement différentiel des planétoïdes par rapport à la rotation terrestre lorsqu’il est asservi sur une étoile, permettant également de compenser les effets de la dispersion atmosphérique différentielle, de compenser ses propres micro-flexions mécaniques.
NAOS délivre des images corrigées pour un instrument : CONICA, qui est un spectro-imageur infra-rouge (0.8-2.5µm). L’ESO a donné le nom de NACO à l’ensemble des deux instruments NAOS+CONICA.

NAOS a demandé 5 ans de développement. Le LIRA était impliqué à différents niveaux, essentiellement dans l’étude système, dans la responsabilité du développement de l’analyseur infra-rouge, dans la responsabilité des intégrations et tests, dans l’algorithmie.

NAOS est un système basé sur la technologie et l’expérience directe venant de ADONIS.


Les TIP-TILTs

Depuis les années 70, l’astronomie a eu besoin d’installer dans ses instruments des miroirs pouvant pivoter rapidement et avec précision sur de touts petits angles. Cette technologie est utile à chaque fois qu’il est nécessaire de dé-pointer et re-pointer le télescope rapidement. Avec l’optique adaptative, cette expertise s’est transformée et a évolué, pour fabriquer des miroirs dits "de basculement" ou "miroirs tip-tilt" qui corrigent le mouvement de l’étoile sur le capteur et permettent de stabiliser sa position.

Ces miroirs sont utilisés dans tous les systèmes d’optique adaptative, et sont présents dans tous les systèmes de COMEON à SESAME, mais aussi dans d’autres systèmes internationaux. Le LIRA a réalisé tellement de systèmes tip-tilt avec tant de caractéristiques différentes qu’une page spéciale y a été consacrée : en savoir plus.


OEIL

En Juillet 2001, encore sous l’impulsion de Pierre Léna et grâce à un rapprochement avec le labo de biophysique de l’Hôpital Lariboisière, l’Observatoire de Paris obtient les premières images en Europe de la rétine humaine in vivo. C’est le programme OEIL qui est alors lancé.


SESAME

A partir de 2002, l’Observatoire développe le banc SESAME, un banc polyvalent d’études et de tests en optique adaptative, qui permet d’explorer de nouveaux concepts en analyse de surface d’onde, en techniques de reconstruction de front d’onde, et qui permet de tester des composants. SESAME est ouvert à la communauté travaillant en HRA en décembre 2005.


SESAME, des graines pour divers noms d’oiseaux ...

En parallèle du développement de SESAME, l’Observatoire invente un nouveau concept auquel les laboratoires américains donneront le nom de MOAO en 2004. A l’Observatoire de Paris, l’instrument se nomme FALCON. Il s’agit d’une optique adaptative distribuée, fonctionnant en boucle ouverte. Au début des années 2000, le concept est trop nouveau pour être accepté en Europe. Les tests relatifs à FALCON seront néanmoins poursuivis sur SESAME et quelques années plus tard les résultats seront ré-investis dans des projets comme CANARY, EAGLE qui sont des projets de MOAO en vue du futur télescope géant E-ELT. En effet, l’exemple du développement de la MOAO aux USA sur le TMT (Thirty Meter Telescope) a fini par convaincre les Européens.

Les nouvelles optiques adaptatives des années 2000

Les années 2000 marquent un tournant dans l’activité internationale de l’optique adaptative. D’une part, de nombreux laboratoires européens -restés discrets jusqu’alors par rapport au cas français- se lancent dans la course de l’optique adaptative, avec la 2ième génération des instruments du VLT. D’autre part, l’expansion du télescope géant européen (que ce soit OWL (2000-2004) ou l’E-ELT (à partir de 2005)), motive des études de faisabilité auxquelles participent de nombreux laboratoires européens.
L’optique adaptative s’oriente alors vers les grands systèmes, et vers les systèmes tomographiques.

Dans les années 2000 le principe même de fonctionnement de l’optique adaptative se diversifie, en introduisant trois concepts nouveaux :

  • les étoiles laser, qui sont obtenues en focalisant un faisceau laser puissant dans l’atmosphère terrestre et en observant le flux rétrodiffusé soit par les molécules de l’air (on parle alors d’étoile Rayleigh, et le laser est de couleur verte, focalisé entre 5 et 20km) soit par des atomes de Sodium présents vers 90 km d’altitude dans une couche bien spécifique de l’atmosphère terrestre (on parle d’étoile Sodium, orangée). Ces étoiles artificielles permettent de fournir une source de lumière au senseur qui va faire l’analyse de surface d’onde. L’inconvénient de l’étoile laser est 1) de ne pas traverser de ses rayons les mêmes portions de couches turbulentes qu’une étoile naturelle (effet nommé effet de cône), 2) de ne pas pouvoir permettre la mesure du tilt et 3) de ne permettre qu’une mesure imprécise du terme de défocalisation du front d’onde.
    VIDEO - Tomographie
    animation 3D
  • la tomographie, qui est une technique qui consiste à faire l’analyse en 3D des perturbations de front d’onde qui ont eu lieu dans l’ensemble du volume de turbulence au-dessus du télescope, à partir de mesures intégrées dans les directions d’analyse des senseurs de front d’onde. L’ensemble des anaylseurs "voit" le volume turbulent sous différents angles de vue, et c’est la combinaison de ces différents points de vue qui permet de reconstituer la manière dont la perturbation a eu lieu dans le volume.
  • la boucle ouverte pour le contrôle des miroirs, qui permet de s’affranchir de la boucle de rétroaction entre le miroir et le senseur, et permet donc de modifier le schéma optique de l’optique adaptative en séparant optiquement totalement miroirs et senseurs. C’est cette séparation optique qui est intéressante, car elle permet de scinder un instrument à très grand champ (dizaine de minutes) en plusieurs instruments de (très) petit champ (quelques secondes d’arc).

Selon les ingrédients choisis, on obtient alors différents types d’optiques adaptatives, auxquelles des acronymes ont été donnés comme nom, et qu’on retrouve maintenant partout dans la littérature. On peut citer :

SCAO

SCAO signifie single conjugate AO, c’est l’optique adaptative classique des années 90, qui opère en boucle fermée sur une étoile naturelle avec un miroir déformable. C’est l’optique adaptative "classique".
Elle fonctionne sur des étoiles brillantes (magnitude < 16-17), et dispose d’une couverture du ciel très limitée (<0.01%)

++++LTAO

La LTAO, pour laser tomography AO, utilise plusieurs étoiles lasers pour compenser l’effet de cône grâce à une analyse tomographique et une étoile naturelle pour compenser le tilt (et défocalisation), le tout en boucle fermée sur un miroir déformable dans le plan pupille.

Elle compense le défaut de couverture du ciel de la SCAO grâce aux étoiles laser et possède un haut degré de correction grâce à la compensation de l’effet de cône par l’analyse tomographique.

Elle souffre du même problème d’anisoplanétisme que la SCAO : le champ corrigé est petit (typ. 20-50’’) puisqu’il n’y a qu’un seul miroir déformable.

++++MCAO

MCAO, concept initialement publié par J. Beckers en 1988 mais qui a mis du temps à voir le jour, et qui utilise possiblement un mélange arbitraire d’étoiles laser et naturelles et par analyse tomographique pilote en boucle fermée plusieurs miroirs déformables en série sur le trajet lumineux et conjugués des couches turbulentes en altitude.

Elle possède la faculté de pouvoir corriger un grand champ (typ. 60-150’’)
La correction est bonne dans tout le champ, mais sensiblement moindre qu’en LTAO.

++++MOAO

MOAO, qui utilise un mélange arbitraire d’étoiles laser et naturelles et par analyse tomographique pilote en boucle ouverte plusieurs miroirs déformables en parallèle sur des trajets lumineux correspondant à différents points du champ, et conjugués de la pupille.
Ici on corrige un grand nombre (10-20) de petites (1-5’’) zones du champ, prises dans un immense champ (5-20 minutes d’arc)

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