Le Centre de la Voie lactée
Le Centre galactique (CG) est situé à ≈ 25 000 années-lumière du système solaire. Étant, bien évidemment, situé dans le disque de la Galaxie, il n’est pas observable dans le domaine visible en raison de quantité de poussière sur la ligne de visée. De par cette relative proximité, il apparait comme bien plus grand angulairement que les autres noyaux de galaxie, dès lors que l’on observe aux grandes longueurs d’onde (infrarouge, radio) ou au contraire en rayons X ou encore plus énergétiques. Le trou noir supermassif qui y siège, Sgr A*, bien que d’une masse modeste pour ce type de trous noirs (environ 4 millions de masses solaires !), est celui dont le rayon de Schwarzschild RS sous-tend l’angle le plus grand : ≈ 10 μas (micro seconde d’angle : 1°=3 600 000 000 µas). Le second trou noir par ordre de rayon de Schwarzschild apparent est celui au cœur de la galaxie M82, deux fois plus petit. En outre, le CG présente des traces d’activité passée et actuelle. C’est donc le sujet idéal pour étudier en détails les mécanismes en jeux dans les noyaux actifs de galaxies (NAG, voir ci-dessous).
Les quelques années–lumières centrales de la Galaxie sont occupées par l’amas nucléaire, des milliers d’étoiles qui orbitent autour de Sgr A*. Une centaine d’entre elles passent très près du trou noir. C’est l’étude de leurs mouvements qui donne la meilleure estimation de la distance au CG et de la masse de Sgr A*. La plus connue de ses étoiles, S2, a une période orbitale d’une quinzaine d’années et passe au périapse à environ 2000 RS seulement, à une vitesse quasi-relativiste (≈ 1% de la vitesse de la lumière).
Les orbites d’étoiles passant très près d’un trou noir devraient être légèrement différentes des ellipses observées par Kepler et expliquée par Newton. En effet, on atteint un régime de gravité et de vitesse où les calculs d’orbites nécessitent l’usage de la théorie de la relativité générale. L’orbite de S2, comme celle des autres étoiles connues, apparaissent encore comme parfaitement elliptiques du fait des incertitudes de mesure. Le premier des objectifs de GRAVITY est de découvrir de nouvelles étoiles encore plus proches du trou noir. Ces étoiles parcourront leur orbite en seulement 1 an environ. Les effets relativistes sur leur trajectoire seront évidents. De plus, leur trajectoire sera peut-être également influencée par la présence de matière sombre autour du trou noir, par exemple en raison du grand nombre de trous noirs stellaires qui ont dû s’accumuler là au cours de l’histoire de la Galaxie. En effet, de nombreuses étoiles ont vécu et sont mortes en orbite autour de Sgr A*. Certaines ont laissé derrière elles un trou noir de faible masse (≈ 10 masses solaires), qui doit continuer de tourner autour du trou noir supermassif.

Le foyer de l’orbite de S2 et des autres étoiles coïncide exactement (aux erreurs de mesure près) avec la position de la source radio ponctuelle Sgr A*. À cette position il y a un objet de luminosité variable dans le domaine infrarouge. En général, il est presque indétectable. Mais environ une ou deux fois par jour, sa luminosité augmente d’un facteur important (plusieurs dizaines). On parle de sursauts ou flares en anglais. À ce moment là, cette source de lumière est plus brillante que l’étoile S2. Un trou noir est, par définition, noir, c’est à dire qu’il n’émet pas de lumière. Les sursauts ne proviennent donc pas du trou noir lui même mais de son environnement. On ne connait pas exactement l’origine de ce rayonnement. Ce dont on est sûr, c’est qu’il vient de très près du trou noir, probablement du disque d’accrétion qui entoure très certainement Sgr A* ou du jet qui en émane probablement. Le second objectif de GRAVITY est d’observer ces sursauts. Le pouvoir de résolution de l’instrument sera insuffisant pour faire une image détaillée des sursauts, mais il permettra d’en mesurer la position avec une précision meilleure que le rayon de Schwarzschild du trou noir. Avec une telle précision, il est probable que l’on sera capable de mesurer le déplacement des sursauts, dont on est presque certain qu’ils sont en mouvement. En effet, aussi près d’un trou noir, la matière est nécessairement animée de vitesses proches de celle de la lumière. Ainsi, GRAVITY permettra de déterminer l’origine des sursauts et de mesurer le mouvement de matière extrêmement près d’un trou noir.
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Noyaux actifs de galaxies
L’un des principaux thèmes de recherche de notre équipe est l’étude des noyaux actifs de galaxies (NAG, en anglais Active Galactic Nuclei ou AGNs). Il s’agit des régions internes de certaines galaxies qui sont particulièrement brillantes dans certains domaines de longueur d’onde, indiquant la présence d’activité autour d’un trou noir central. Notre galaxie n’est pas à proprement parler active : vue de l’extérieur, son noyau ne paraitrait pas aussi lumineux que celui des NAG.
La plupart des NAG sont cachés derrière d’importantes quantités de poussière. Le système d’optique adaptative de GRAVITY, muni de son senseur de front d’onde infrarouge, permettra de travailler sur ces sources très rouges.

Disques et jets protostellaires et protoplanétaires
Les NAG ne sont pas les seuls objets au sein desquels on trouve des disques d’accrétion et des jets. Ils sont également présents dans une autre classe d’objets fascinants : les systèmes stellaires en formation. On parle alors de disques protostellaires ou protoplanétaires lorsque la présence de planètes en formation est avérée. Bien qu’à une échelle bien plus petite que celle des disques entourant les trous noirs supermassifs, c’est essentiellement la même physique qui dicte le comportement de ces systèmes. Là encore, la source lumineuse compacte est enfouie derrière d’importantes quantités de poussières qui font du senseur infrarouge de GRAVITY un atout majeur en vue de leur observation. La haute résolution spectrale de GRAVITY permettra d’étudier la dynamique du gaz ionisé au sein de ces objets. Par reconstruction d’image, on pourra étudier les sillons tracés dans le disque par les planètes géantes en formation ainsi que l’éjection de matière par les jets.
Binaires étoile—trou noir (microquasars)
Enfin, il existe des systèmes stellaires binaires dans lesquels l’une des composantes est un trou noir et l’autre une supergéante rouge. Il arrive que de la matière soit alors transférée de la supergéante vers le trou noir, formant un disque d’accrétion et un jet. On parle de microquasars en raison de la ressemblance entre ces systèmes et les quasars (qui sont certains NAG, vus de très loin). Les jets émis par ces objets sont observés en radio. GRAVITY peut espérer en détecter la base en infrarouge, et ainsi dévoiler le secret de leur origine.
Trous noirs de masse intermédiaire
Il est généralement admis que des trous noirs d’une masse d’au moins 100 000 masses solaires ont été détectés au cœur de galaxies (par exemple Sgr A* au cœur de la Voie lactée). On connaît également l’existence de trous noirs de masse stellaire. Issus de la mort d’étoiles massives, ceux-ci ont une masse de l’ordre de 10 à 100 masses solaires. En revanche, on ne connaît pas à l’heure actuelle de trou noir avéré d’une masse en quelques centaines et quelques dizaines de milliers de masses solaires. Pourtant on pense que ces trous noirs de masse intermédiaire devraient se former au centre des amas d’étoiles les plus denses, et qu’ils pourraient être les précurseurs des trous noirs supermassifs au centre des galaxies.
Dans ce contexte, le but de GRAVITY est d’appliquer la même méthode que celle qui a donné de très bons résultats dans le cas du CG au cœur d’autres amas denses, notamment des amas globulaires : il s’agira de déterminer les orbites d’étoiles individuelles le plus près possible du trou noir hypothétique au centre de ces amas. Cela permettra de confirmer ou d’infirmer la présence d’un trou noir, et, le cas échéant, d’en déterminer la masse de façon précise.
Exoplanètes
Pour finir, l’un des sujets de recherche les plus médiatisés ces dernières années, et à juste titre, est celui des planètes extrasolaires (voir aussi). Là encore, GRAVITY ne sera pas en reste. GRAVITY pourra détecter des planètes par deux méthodes : par astrométrie de l’étoile, qui vacille au rythme où la planète tourne autour d’elle, et par transits : lorsqu’une planète passe devant son étoile, elle éclipse une partie de son flux. En étudiant la courbe de lumière de l’étoile, on peut voir un léger creux qui trahit ces transits. Compte tenu des spécificités de GRAVITY, son cœur de cible sera la détection de planètes autour d’étoiles de faible masse appartenant à des systèmes binaires.